La souveraineté numérique commence à faire le buzz sur Twitter, grâce à des experts et des élus décidés à en faire un enjeu politique

En analysant les quelques 5500 tweets émis sur la souveraineté numérique en novembre 2020, j’avais constaté que le sujet semblait susciter peu de controverse malgré son caractère stratégique pour notre pays. Au-delà de quelques spécialistes du sujet, les attaques de la CNIL contre l’hébergement par Microsoft du Health Data Hub intéressaient peu de monde, notamment chez les élus. Mais peut-être est-ce dû au fait que Microsoft est considéré comme un vrai partenaire du gouvernement depuis plusieurs années, via ses contrats avec l’Education Nationale, la Défense, l’Intérieur …

L’irruption du géant Amazon et de l’inquiétant Palantir dans les discussions sur le sujet y ont donné une autre dimension en décembre 2020, amplifiée par l’éviction récente de Donald Trump par Twitter. Avec plus de 10 000 mentions du 1er décembre 2020 au 14 janvier 2021 identifiées par la plateforme Visibrain, la souveraineté numérique commence à devenir un vrai sujet. Assez pour marquer 2021, voir 2022 ? Le politique le plus repris sur le sujet et intégré au cœur des échanges est ainsi un très probable candidat à la présidentielle, Arnaud Montebourg.

Le partenariat entre BPI France et Amazon suscite un flot de critiques

La cartographie des échanges Twitter, obtenue via le logiciel Gephi, permet de représenter spatialement les interactions entre des comptes Twitter. On identifie 2 communautés principales au centre des échanges :

  • En vert, celle des réactions, très négatives, au partenariat entre BPI France et Amazon pour accompagner les entreprises françaises dans la vente en ligne, intégrant également une partie des critiques contre le ralliement de l’américain Palantir au projet de cloud souverain européen Gaia-X. C’est l’entrepreneur web Tariq Krim qui est au cœur de cette communauté très active ;
  • En bleu clair, les opposants au stockage des données du Health Data Hub par Microsoft, toujours dominés par la CNIL, le collectif Interhop et le CNLL. Ce dernier vient d’ailleurs de publier sur Le Monde une tribune pour défendre les logiciels libres et l’ouverture des données.

La largeur des nœuds / comptes Twitter correspond à leur volume de retweets / mentions pondéré par la qualité de ces retweets / mentions (le fait d’être mentionné par un compte lui-même très mentionné).

On notera que les deux principales communautés sont très interconnectées, via notamment les communautés en orange de @SouveraineTech, compte Twitter dédié à la souveraineté technologique, déjà au cœur des échanges en novembre. Le collectif InterHop, très actif sur le Health Data Hub, rappelait également que l’ancien directeur des relations institutionnelles de BPI France a été recruté en juin 2020 pour le lobbying d’Amazon Web Services.

D’autres communautés correspondent à des acteurs / sujets importants, notamment :

  • En rouge, les soutiens d’OVHcloud, qui se sont félicités de la certification SecNumCloud délivrée par l’ANSSI le 12 janvier 2021, dont Fabienne Billat de la Caisse des Dépôts, par ailleurs très active sur la souveraineté numérique ;

A droite de la cartographie, près de @PalantirTech, on retrouve les comptes Twitter de Pierre Bonis de l’AFNIC et de Alain Assouline du syndicat des TPE / PME du numérique, qui ont publié une tribune dans le JDD pour dénoncer le partenariat entre BPI France et Amazon.

On notera le relatif isolement de Cédric O à gauche de la carto, qui twitte pourtant sur le sujet, mais est bien moins visible que les politiques de l’opposition.

Des sénateurs très remontés contre Amazon, un quasi candidat à la présidentielle qui s’intéresse de près à la souveraineté numérique … et pas de réaction des députés ou du gouvernement

Si les dirigeants de la République en Marche ne sont pas visibles sur la cartographie, ce n’est pas faute de communication, notamment de la part de Cédric O. Pour autant, cette communication sur les enjeux de la souveraineté numérique ne s’intéresse pas aux polémiques sur Amazon ou Palantir :

A contrario, Arnaud Montebourg, connu pour intervenir régulièrement sur les sujets et souveraineté, et la sénatrice Nathalie Goulet sont très repris par les twittos sur le sujet de BPI France et d’Amazon. Raphaelle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC au numérique, a également réagi.   

En dehors d’Arnaud Montebourg et de François Cocq, les politiques de gauche sont absents de ce sujet. En filtrant les tweets de politiques réagissant à l’annonce sur Amazon et la BPI, après Montebourg et Goulet, on retrouve uniquement des élus UDI et RN :

Jean Castex a d’ailleurs été directement interpellé sur le Health Data Hub par Tariq Krim le 23 décembre.

Il est intéressant de souligner que contrairement aux députés, ce sont bien des sénateurs, UDI en l’occurrence, qui ont réagi sur le sujet. Comme quoi le Sénat n’est pas si déconnecté que ça des enjeux du 21ème siècleNathalie Goulet a ainsi posé une question écrite à Bruno Le Maire sur le sujet le 24 décembre.

Un sujet qui prend de l’ampleur en France et en Europe, grâce à Trump et à la NSA, et qui nécessite de la vigilance de la part des acteurs français du cloud

Il apparait clairement que l’abandon de la souveraineté numérique de la France est de moins en moins accepté. L’hébergement par Microsoft du Health Data Hub, critiqué par la CNIL, les acteurs du logiciel libre, le collectif Interhop, plusieurs experts comme Tariq Krim, Fabrice Epelboin, a continué d’être dénoncé via une tribune d’InterHop publiée par Libération le 14 décembre et partagée plus de 300 fois sur Twitter et sur Facebook. Déjà l’article de Mediapart sur le sujet publié le 9 octobre avait été partagé plus de 8500 fois sur Facebook, et 2400 fois sur Twitter …

Deux autres polémiques concernant la souveraineté numérique ont permis de donner plus d’ampleur au sujet en décembre 2020 :

  • La vidéo publiée par @SouveraineTech, compte au centre des échanges sur la souveraineté numérique, sur le partenariat entre Amazon et Bpifrance (qui en prolonge bien d’autres …).

Mediapart a publié un article sur le double discours de Bruno Le Maire concernant l’hébergement des données du Prêt Garanti par l’Etat par Amazon, citant le travail des sénateurs Michel Canevet et Nathalie Goulet, très repris sur Facebook notamment via Attac.

  • L’annonce le 18 décembre par l’américain Palantir, qui travaille notamment avec la NSA, de sa « fierté » de rejoindre l’initiative pour un cloud souverain européen Gaia-X. Cette annonce a suscité de nombreuses réactions négatives en Europe :

Enfin, la décision des médias sociaux de mettre fin aux comptes de Donald Trump suite aux conséquences de son quasi appel à l’insurrection le 6 janvier 2021 a suscité également de nombreuses réactions sur la souveraineté numérique, via Tariq Krim notamment. L’embarras du fondateur de Twitter Jack Dorsey qui a attendu presque une semaine pour expliquer sa décision montre par ailleurs que le débat sur le fonctionnement des médias sociaux est loin d’être terminé, et nécessitera une attention accrue du législateur.

2021 a donc démarré sur les chapeaux roues, après une fin d’année très intéressante sur la souveraineté numérique. Gageons que le sujet fera du bruit, avec un écho de plus en plus important auprès des politiques.

La prochaine étape sera donc de soutenir nos champions du numérique. Ainsi, les communautés les plus actives pour défendre la souveraineté numérique et contrer Amazon, Palantir et Microsoft n’ont pas repris l’annonce de la certification SecNumCloud d’OVH. Cela n’empêche pas un soutien ponctuel par exemple de Tariq Krim, mais cela montre l’importance de construire des liens avec ces communautés pour gagner en influence.

A cet égard, un élément d’alerte pour OVHcloud, dont l’alliance avec Google Cloud pour produire de nouvelles offres ne semble pas avoir été appréciée par les promoteurs de la souveraineté numérique. Ce partenariat a un intérêt stratégique pour la société, mais il peut être manipulé pour décrédibiliser le cloud souverain, par exemple avec ce genre d’évènements :

Aucun GAFAM ne peut être crédible sur la souveraineté numérique (comme Monsanto n’aurait pas pu l’être sur des produits bios …) : cela va contre leur image et leur obligation de respecter la législation américaine … par effet d’association, montrer une trop forte proximité avec les GAFAM sur ce sujet peut envoyer de mauvais messages, voir être utilisé pour contrer le discours sur le cloud souverain. Être un acteur international crédibles sur le marché IT nécessite de travailler avec les leaders américains (voir chinois) du Cloud, c’est un fait. Mais cela ne doit pas empêcher d’être prudent dans ces partenariats, en restant transparent et en montrant qu’ils ne remettent pas en cause la souveraineté numérique des données.

Prenons l’exemple de Gaia-X : malgré les très fortes retombées négatives de sa première annonce du 18 décembre, alors que Palantir est d’ailleurs le seul acteur américain à mettre autant en avant une simple possibilité de s’associer au projet sans influer dessus, la société controversée a enfoncé le clou le 23 décembre puis le 4 janvier 2021. Pour commencer à fermer le cercueil du cloud souverain européen ? Rappelons que le projet Gaia-X est évidemment antérieur à l’ouverture à d’autres partenaires annoncée en novembre 2020, et que Palantir ne peut donc pas être un « day 1 member ». Quel sens peut avoir cette communication, sinon semer le doute, via un acteur très lié aux intérêts stratégiques des Etats-Unis ?

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