Analyse des tweets du Cash Investigation sur les dérives du marketing : la CNIL au top, le flop de Danone

Le retour en prime time de Cash Investigation le 6 octobre voit aussi une forte augmentation des tweets échangés : près de 20 000 pendant l’émission consacrée aux dérives du marketing. Un succès dû d’ailleurs aux « clients » de ce reportage, dont la plupart, dans la grande tradition des reportages d’Elise Lucet, se sont enfuis devant ses caméras … avec un résultat, nous le verrons, désastreux comme toujours. Sans juger le fond des pratiques des entreprises épinglées, il serait temps que les dirigeants (politiques ou d’entreprises) comprennent que leurs refus d’interviews donnent une image très mauvaise à l’écran, et encore plus sur les réseaux sociaux. Nous allons le voir, il est bien préférable, et cela même si l’on a rien d’intéressant à dire, d’accepter de jouer le jeu de l’interview, que de tout faire pour y échapper.

A l’aide du logiciel Visibrain Focus TM, j’ai pu capter les quelques 19 025 tweet envoyés durant l’émission par 6 751 comptes twitter différents, soit trois fois plus de tweets que durant les deux dernières émissions. La moyenne reste proche des 3 tweets par utilisateur, avec 54 % de retweets.

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L’analyse quantitative des tweets échangés nous montre ainsi que les mentions des entreprises mises en cause sont très nombreuses, bien plus que pour les dernières émissions. La raison principale ? Qu’il s’agisse de Safran ou d’Aztrazeneca, les entreprises les plus critiquées avaient acceptées (parfois de mauvaise grâce) de répondre aux questions posées. A l’exception notable de la CNIL, seule organisation mentionnée plutôt positivement, l’UNICEF, Danone, Apple, Carrefour ont reçu plusieurs centaines de mentions négatives. On notera que La Poste et sa filière Mediapost, elles aussi critiquées, se retrouvent bien moins prises à parti, la secrétaire générale de Mediapost ayant accepté de donner une interview à Elise Lucet.

En utilisant le logiciel Gephi pour cartographier les tweets (voir la méthodologie ici), j’ai pu identifier différentes communautés actives autour des protagonistes de l’émission :

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Analysons maintenant les différentes communautés qui correspondaient aux protagonistes de l’émission, en commençant par les bonnes pratiques. On notera tout d’abord que les deux premières communautés correspondent aux comptes officiels de l’émission @cashinvestigati, @EliseLucet (auquel on ajoutera @France2tv), qui cumulent 4500 mentions sur les 19 000 tweets.

552 mentions avant tout positive, l’excellente réactivité du CM de la CNIL

De nombreux twittos ont pu constater l’extrême réactivité de la CNIL sur twitter, qui commentait en direct l’émission :

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Si Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la CNIL, s’est retrouvée en difficulté devant Elise Lucet – mais difficile de dénoncer le manque de moyens financiers pour un organisme public dans le contexte actuel -, le travail impeccable du community manager du compte pour rappeler nos droits sur les fichiers commerciaux contenant nos données personnelles est clairement à féliciter. Effectué en parallèle de la diffusion de l’émission, ses tweets à visée pédagogique ont vite fait de clore toute polémique, tout en complétant utilement le reportage qui ne donnait pas ces éléments.

Gestion des données personnelles : Carton jaune à l’UNICEF, Carrefour peut mieux faire

Si Mediapost et Unicef ont toutes les deux été prises à partie par Cash Investigation pour leur légèreté en matière de protection des données de leurs clients et adhérents, l’ONG a vite compris l’impact négatif que pouvait avoir l’émission, et a très vite réagit via son compte facebook pour rassurer ses donateurs. Les quelques dizaines de commentaires du message restent du coup plutôt neutres sur le sujet.

Pour Carrefour, la réaction des internautes est bien plus ironique, sûrement du fait que les consommateurs savent que les cartes de fidélité impliquent quelques concessions sur la protection des données personnelles en échange de bons de réduction …. et cela même si leur valeur est loin d’atteindre les 600 € estimés pour l’ensemble des données de chaque individu ! Peut-être s’attend-on plus à se faire avoir par la grande distribution que par des ONG ?

04_Cash_marketing_carrefourApple, un manque certain d’élégance

La firme à la pomme a été accusée pendant le reportage de tordre le bras aux opérateurs téléphoniques français pour vendre ses téléphones, les amenant à augmenter leurs forfaits – et offrant ainsi un boulevard à Free qui n’est jamais rentré dans ce marché de dupes. Si la commission européenne enquête sur le sujet, il est manifestement difficile d’en parler pour Apple : l’ancien Directeur Europe de la firme a été jusqu’à jeter à terre la caméra d’Elise Lucet, fuyant désespérément sa demande d’interview. Si la firme de Cupertino se moque probablement de ces attaques, un comportement trop arrogant est rarement constructif pour une marque.

05_Cash_marketing_dir_appleLe lecteur attentif aura noté l’absence d’Apple de ma cartographie des comptes mentionnés pendant l’émission … logique, puisque la firme n’a pas de compte twitter ! Mais on peut également faire le même genre de cartographie sur les hashtags échangés :

06_cash_marketing_hashtagsEn dehors de #Danone, #Apple est l’un des hashtags les plus utilisés, et surtout il dispose de sa propre communauté en rose avec les reprises de #iphone, #sfr, #orange … Bref, les critiques ont été nombreuses, compte twitter corporate présent pour les canaliser ou non : 979 mentions de #apple et 551 de Apple en tout.

Danone : le déni de réalité peut gravement nuire à la réputation

Reste le cas de Danone … refuser le moindre échange sur un sujet aussi grave que celui évoqué, qui touche la santé de millions de bébés, même dans un pays lointain, c’est pour le moins baroque. Et, par la suite, s’offusquer sur twitter des « amalgames » que l’émission aurait fait, alors que l’occasion avait été donnée à bien des reprises durant le reportage d’y répondre, ajoute au ridicule, ou plutôt au cynisme, de la firme. Vouloir se poser en victime de l’angle choisi par le reportage, alors que pour tous ceux ayant vu l’émission, les victimes sont bien évidemment les bébés évoqués, démontre pour le moins un manque certain d’empathie. Alors qu’il s’agissait de la seule partie du reportage où les méthodes incriminées ne concernaient pas une activité en France, c’est bien le groupe Danone qui a été le plus violemment pris à partie pendant et après l’émission. Le terme boycott a même été associé à Danone dans plus d’une centaine de tweets.

07_Cash_marketing_danoneOn peut critiquer un certain sensationnalisme dans les méthodes d’Elise Lucet qui va parfois désemparer des salariés qui ne savent pas quoi répondre, toujours est-il que ce n’est pas elle qui dispose d’une armée de communicants. Quand la direction générale de Danone choisie de fermer les volets de sa salle de réunion pour ne plus voir les ballons de Cash Investigation, on a là une terrible image pour la responsabilité sociale de l’entreprise.

Conclusion : plus que jamais, les firmes doivent être capables de réagir en temps réel aux mises en accusation

Je parle bien sûr du temps réel de l’émission, car l’ensemble des acteurs cités ont été filmés il y a plusieurs mois. La moindre des choses aurait été de faire un peu de veille sur Cash Investigation pour anticiper une communication minimale au moment de la diffusion. Il est assez amusant de constater que la seule organisation qui a su retourner un potentiel problème d’image en communication réussie sur les réseaux sociaux est la CNIL, et ce malgré ses faibles moyens. Quelques tweets bien placés pendant l’émission auront suffi à renverser le sentiment mitigé qu’a pu donné l’interview de la responsable de la CNIL.

A contrario, si la vieille ficelle du silence choisie par Carrefour ou Apple peut sembler être un mauvaix choix, est-ce vraiment le cas ? Le flot de mentions chaque jour sur la firme américaine rend bien improbable l’émergence d’un badd buzz suite à une émissions en France, tandis que les tweets de dérision sur Carrefour ne sont finalement pas si critiques. Le silence est parfois d’or …

Et avant de s’exprimer, mieux vaut peser ses mots. Le tweet indigné du compte @DanoneGroup, très probablement validé au niveau de la direction générale, reste l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Il ne donne qu’une impression, celle que l’entreprise refuse d’accepter de discuter des impacts de son activité. Alors qu’elle aurait sans doute pu répondre des choses très pertinentes sur les problèmes posés par la corruption, l’accès au soin, et sa stratégie pour accompagner les populations concernées, la multinationale a essayé de se poser en victime, quand, manifestement, les victimes étaient ses consommateurs indonésiens.

Comme le recommande Jean-Michel Boissière sur son blog hébergé par l’Express, il ne faut pas que les dirigeants ciblés par Cash Investigation jouent le silence et l’esquive, mais bien qu’ils acceptent l’interview en la préparant solidement et en choisissant des réponses « choc » adaptées au cadre de l’émission. Et, qu’ensuite, leurs comptes corporate sur les réseaux sociaux en assure le service après-vente lors de la diffusion du reportage.

Je ne peux pas terminer cette analyse sans évoquer les critiques prononcées contre les méthodes de l’émission, et auxquelles correspondaient une des communautés que j’ai identifiées dans les échanges. Je considère de mon côté que c’est de bonne guerre – les budgets de communication et marketing des grandes entreprises sont faramineux, il est certain que cette façon de mettre en image les reportages et une certaine lutte pour obtenir des interviews est payante pour Elise Lucet : ses soutiens sur la première cartographie, en jaune, représentent 9,18 % du total des tweets, contre 5,76 % pour ses critiques, très disparates – et parfois liées aux contradictions que de telles enquêtes peuvent poser.

08_Cash_marketing_lucetNéanmoins, il semblerait que certains membres de l’équipe de Cash Investigation prennent la grosse tête sur les réseaux sociaux … peut-être un bad buzz à venir contre l’émission cette fois-ci ?

Par @g_sylvestre